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ISTES n°101 octobre 2012 Télécharger le document

Réponse à M. Yves-Marie Le Lay, Président de l’association « Sauvegarde du Trégor»

Question 1 : « Vous écrivez : “La présence d’azote dans les tissus ne veut pas dire que cet azote soit à l’origine des proliférations algales jugées indésirables : depuis une trentaine d’années également les limnologues ont démontré le rôle fondamental du phosphore du milieu aquatique dans les proliférations excessives de phytoplancton. Or ce phytoplancton présente la particularité d’utiliser l’azote de l’air, de sorte que l’azote ne sera jamais limitant”.

Intégrez-vous dans le terme proliférations algales les marées vertes et les jugez-vous au pire indésirables seulement, et envisagez-vous derrière ce qualificatif assez vague leur toxicité lorsqu’elles se décomposent ? »

Les proliférations et les échouages d’ulves constituent une nuisance indéniable. Mais ces phénomènes sont localisés pour l’essentiel sur quelques baies bretonnes, dont les bassins versants ne présentent qu’une activité agricole relativement extensive.

La toxicité liée au dégagement d’H2S, est avérée, mais doit être appréciée à sa juste valeur, sans dramatisation excessive. Les algues, comme beaucoup de substances organiques, et en particulier les crucifères (choux,  colza, etc.), contiennent des composés soufrés. Ici, l’origine du soufre est avant tout marine. Rappelons que l’H2S est un gaz omniprésent dès que des matières organiques se décomposent en milieu confiné et notamment dans tous les égouts du monde, sans qu’il soit envisagé jusqu’ici d’éradiquer ce mode de transfert des eaux usées. De plus, il est désormais établi que le cheval mort sur la plage de Saint-Michel en Grève, s’est avant tout enlisé jusqu’à l’épuisement total. Il n’a pas brutalement succombé à une intoxication à l’H2S. Voir les photographies :

http://www.leparisien.fr/images/2009/08/20/611965_algues-verts-1.jpg
http://www.leparisien.fr/images/2009/08/20/611965_algues-verts-3.jpg

Actuellement la valorisation des ulves, algues comestibles pour l’homme et l’animal, est tout à fait possible. Plusieurs sociétés bretonnes manquent de cette ressource et en importent pour satisfaire la demande de leurs clients. En outre, les composés soufrés des algues présentent des vertus thérapeutiques en cours d’étude, qu’avaient déjà observées les agriculteurs utilisateurs de goémon.

Question n°2 : « Pourquoi vous ne distinguez pas milieu aquatique d’eau douce et milieu aquatique d’eau de mer, absence de distinction qui vous permet de mettre en avant le rôle du phosphore dans la prolifération excessive de phytoplancton, ce qui est incontestable pour le premier milieu, mais contesté par la quasi-totalité de la communauté scientifique pour le second ? »

Nous effectuons  systématiquement cette distinction fondamentale dans toutes nos interventions, y compris dans le texte auquel vous vous référez. Concernant les phénomènes de prolifération de macroalgues de type Ulve en milieu marin côtier, nous n’avons jamais évoqué de fixation directe de l’azote atmosphérique par les ulves. Par contre les sources d’azote dans le milieu marin sont multiples : nitrate, mais aussi ammoniac,  azote gazeux assimilé par divers organismes, azote organique et ses produits de dégradation, azote provenant du large, etc… Une carence en azote au point de limiter la croissance des ulves en période estivale paraît inaccessible et probablement écologiquement néfaste : l’impact d’une telle carence n’a en effet jamais été évalué. C’est pourtant cet objectif que fixent actuellement les plans d’actions contre les marées vertes.

Au niveau mondial, les hydrobiologistes du milieu marin s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’agir sur le phosphore ; par contre, le débat porte sur l’intérêt ou non, d’agir également sur le N, c'est-à-dire sur le N et le P ou sur le « P seulement » (« P only ») ; Schindler et Hecky par exemple affirment  : « au final, nous retenons que dans beaucoup d’études, la conclusion que l’azote doit être limité pour réduire l’eutrophisation est basée sur les mêmes indicateurs que ceux qui ont donné des résultats erronés dans nos expérimentations sur le lac 227. L’affirmation que la maîtrise de l’azote permettra d’éradiquer l’eutrophisation des eaux côtières mérite un nouvel examen », et ils reprennent à leur compte les propos de Bryhn et Hakanson  (janvier 2009) : « la réduction de l’azote représente  une très couteuse tentative, lancée à l’aveuglette, mais qui peut favoriser les cyanobactéries, plutôt que la qualité des eaux. » La responsabilité du nitrate des seuls cours d’eau, en période estivale est loin d’être validée.

Nous recommandons que des recherches complémentaires soient poursuivies pour bien comprendre l’écologie particulière dans les baies bretonnes concernées ; les données actuellement disponibles sont très insuffisantes.

Question n°3 : Vous dites que l’azote n’est pas un facteur limitant de proliférations algales puisqu’il vient de l’air. Pouvez-vous alors m’expliquer comment le N (l’azote) de l’air deviendrait du NO3 (le nitrate) profitant à la croissance des algues ? La mer ou les algues auraient-elles la même qualité de transformer l’azote atmosphérique en nitrate comme le font certaines plantes terrestres ? Et pourquoi l’air breton aurait ces qualités exceptionnelles qui permettraient ces proliférations, qualités que n’auraient pas l’air méditerranéen, mais que vient d’avoir l’air chinois qui a connu brutalement depuis 2008 des marées vertes ? »

En effet, l’azote terrigène estival ne constitue  ni le facteur limitant, ni le facteur de maîtrise du phénomène. Concernant le lien supposé entre l’azote apporté l’été par les rivières et le phénomène des marées vertes, il n’y a aucune démonstration dans les travaux scientifiques publiés. Les hypothèses n’ont jamais été vérifiées, mais seulement répétées. L’azote atmosphérique n’est évidemment pas directement utilisé par les ulves, mais peut contribuer aux diverses sources d’azote présent dans le milieu marin. Par ailleurs nous avons fait expertiser les travaux scientifiques actuellement disponibles sur ce sujet précis, par un cabinet rigoureusement indépendant : la Société de Calcul Mathématique. Les conclusions de cette étude sont nettes : « Les articles "scientifiques" qui prétendent démontrer un lien de causalité entre la présence d'ulves et les productions agricoles reposent tous, sans aucune exception, sur des modèles mathématiques non validés et fabriqués pour la circonstance. Le niveau scientifique de ces modèles est consternant et ne serait accepté par aucune autre discipline. Or l'environnement n'est pas une discipline moins importante que les autres et il n'y a aucune raison d'y accepter des arguments qui seraient rejetés ailleurs. » Voir le rapport complet de la SCM :http://www.scmsa.eu/archives/SCM_ISTE_rapport_nitrates_ulves_2012_05_07.pdf

En science, il convient de vérifier ses hypothèses, ce qui n’a pas été fait dans le cas présent, les modèles ne le permettant pas.

Question n°4 :“Vous écrivez « De même, les suivis effectués ces dernières années par l’Ifremer et l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne semblent indiquer l’absence de corrélation entre les biomasses d’ulves et les apports d’azote printaniers, ce qui entraine l’abandon de l’apport du bassin versant comme “responsables” des proliférations d’ulves. En outre, ceci confirme l’inefficacité de la réduction des rejets azotés pour la réduction et à plus forte raison la maîtrise de ces marées vertes”.

« Comme toute la littérature scientifique que j’ai pu lire sur ce sujet, y compris l’étude des études sur le sujet réalisée par M. Chevasus-au-Louis pour les Ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, disent le contraire de ce que vous avancez, sauf à avoir très mal lu, pouvez-vous m’indiquer précisément à quels suivis vous vous référez ? »

L’invalidation de l’hypothèse sur le rôle de l’azote apporté par les cours d’eau en juin, résulte des suivis effectués en 1997 et 1998, par l’IFREMER pour l’Agence de l’Eau Loire Bretagne, qui ont été rapportés par M. Merceron :

1998, « Inventaire des ulves en Bretagne Année 1997 » Rapport de synthèse IFREMER, 17 pages + figures et annexes.

1999 « Inventaire des ulves en Bretagne Année 1998 » Rapport de synthèse IFREMER, 26 pages + figures et annexes.

Nous en avons extrait le tableau suivant :

Tonnages d’azote terrigène au mois de juin et masses d’ulves ramassées

(d’après Merceron IFREMER 1998, et 1999)


Baie

Lannion

St-Brieuc

total sites Bretons

1997

t de N

12

51

251

t d'ulves

9985

11388

42796

1998

t de N

19

112

351

t d'ulves

12070

8358

38114

 

Il n’y a clairement aucune correspondance, contrairement à l’hypothèse d’une biomasse corrélée aux flux de nitrate terrigène (apporté par les cours d’eau côtiers) en juin uniquement. L’hypothèse est donc infirmée par les mesures de terrain. Elle doit donc être abandonnée.

Concernant le rapport commandé par les deux ministères de l’agriculture et de l’écologie pour contester nos assertions, et co-écrit par quatre fonctionnaires, dont M. Chevassus-au-Louis (avec deux « s »), celui-ci se contente de refléter le paradigme en vogue dans la plupart des écrits actuels, avec un esprit critique limité ; cette expertise n’a donné lieu à aucune discussion scientifique approfondie avec des chercheurs spécialisés sur le sujet et indépendants, comme il serait normal dans une « expertise scientifique loyale ». Ce rapport n’a pas répondu aux nombreuses objections aux thèses dominantes actuelles, que nous formulons depuis plusieurs mois. L’idée centrale de ce rapport porte sur la « croyance » que l’évolution de l’agriculture ne pourrait pas s’être développée sans perturbations graves de l’écologie. Ceci demande toutefois des démonstrations, qui jusqu’ici font totalement défaut, plutôt que des convictions a priori. Par exemple, dans ce rapport, le rôle d’indicateur biologique attribué à tort à la Mulette Perlière, en constitue une illustration caricaturale : les hypothèses sur leur abondance passée, puis sur leur disparition, ne permettent nullement de remplacer les données manquantes sur l’évolution des teneurs en nitrates des fleuves côtiers et encore moins d’extrapoler sur l’augmentation des teneurs en nitrate consécutive au développement agricole.

Question n° 5 : « Par ailleurs, si c’était le phosphore accumulé après 25 années de politique d’assainissement” qui était la cause essentielle des marées vertes, pourquoi celles-ci prolifèrent plutôt au printemps qu’au mois d’août? alors que c’est le mois de surcroît de population avec l’arrivée de touristes, et donc des rejets domestiques de phosphore les plus importants ? »

Il n’y a pas de relation directe entre les apports instantanés et la prolifération des ulves ; les effets dus au phosphore doivent tenir compte de son accumulation dans les sédiments et de sa biodisponibilité pendant les différentes périodes de croissance.

Question subsidiaire : « Vous écrivez : “Les élevages représentent tout au plus des apports moyens de l’ordre de 140 unités d’azote par hectare et par an, alors que les besoins des sols cultivés se situent à 240 unités à l’hectare. Nous sommes très loin de la saturation générale qui fait la une des médias. Il faudrait parler de “déficits structurels”. Par ailleurs, vous continuez en précisant : “Nous ne prétendons pas détenir la vérité, mais chercher à mieux la connaître et surtout, à partir de la synthèse des connaissances disponibles, à éviter d’entretenir des illusions ou de poursuivre des objectifs erronés, irréalistes ou infondés qui épuiseraient inutilement nos énergies et nos moyens, forcément limités”.

Quelle est la synthèse des connaissances disponibles qui vous permet de conclure que les élevages produisent ces 140 unités d’azote par hectare et par an et que les besoins des sols se situent à 240 unités, et envisagez-vous que vous puissiez entretenir des illusions et poursuivre des objectifs erronés en produisant ces chiffres ?

Concernant la charge en azote organique due aux élevages, Les calculs réactualisés sur la base des données 2008, à partir des statistiques agricoles de l’INSEE, aboutissent en effet  désormais à moins de 120 unités d’azote en moyenne par hectare, suite aux baisses d’effectifs et aux traitements imposés aux élevages. Rappelons que les systèmes agricoles bretons peuvent valoriser des apports de l’ordre de 240 kg N/ha/an. La Bretagne n’est donc pas « saturée » par les déjections animales, mais bien déficitaire en azote, ce qui explique d’ailleurs les achats d’engrais effectués par les agriculteurs.

Enfin, à titre de conclusion, nous souhaitons poser deux questions à M. Le Lay et à son association :

1 - la prise en compte des réponses que nous vous faisons, sur la base d’informations parfaitement vérifiables, ne remet-elle pas en cause définitivement nombre d’affirmations alarmistes largement diffusées ?

2 - Comment allez-vous intégrer toutes ces réponses dans l’argumentaire et la communication de votre association, pour aborder ces questions avec sérénité et objectivité ?

 

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