Que penser de l’agriculture biologique et des aliments Bio ? Léon Guéguen - Télécharger l'article
Léon Guéguen est Directeur de Recherches honoraire de l’Inra, ancien directeur du Laboratoire de nutrition et sécurité alimentaire du Centre de recherches de Jouy-en-Josas, membre de l’Académie d’agriculture de France et rapporteur à l’Afssa. Cet article a été publié dans le n° 276 de Science et pseudo-sciences, revue de l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS). Renseignements -- sur la revue : http://pseudo-sciences.org/spip.php?rubrique15.
Qu’est-ce que l’agriculture biologique ? Bref rappel historique
L’agriculture « biologique » est née en Europe dès les années 1930 sous l’influence de trois mouvements : biodynamique ou anthroposophique en Autriche et en Allemagne (R. Steiner puis A. Pfeiffer), organo-biologique en Suisse (H. Müller et H.P. Rusch) et organique en Grande-Bretagne (A. Howard). Ces mouvements reposaient sur des courants philosophiques et sociologiques refusant l’évolution productiviste de l’agriculture et prônant le retour à des modes de production du début du siècle dernier, plus respectueux de la nature et des équilibres écologiques. Les techniques culturales ou d’élevage préconisées limitent la mécanisation du travail, réduisent les intrants chimiques (engrais minéraux et produits phytosanitaires[1] de synthèse), les additifs et médicaments vétérinaires, interdisent (depuis peu) les OGM et leurs dérivés et, plus globalement, visent à une meilleure autonomie de l’agriculteur (recyclage par compostage de végétaux de l’exploitation et des déjections animales). Seule la méthode biodynamique fait appel à des substances naturelles « biostimulantes » et à des « forces vitales et vibratoires cosmiques et telluriques », ajoutant ainsi un volet plus ésotérique. L’agriculture biologique s’est très lentement développée en France à la fin des années 1950 sous l’impulsion d’une société commerciale (Lemaire‑Boucher) et d’un mouvement associatif d’agriculteurs et de consommateurs (Nature et Progrès), ce dernier reposant sur des fondements plus rationnels. En effet, l’un des arguments utilisés par la dite société commerciale pour vendre une algue calcaire fossile, le lithothamne, amendement[2] bien connu en Bretagne, était l’activation de « transmutations biologiques » par l’intermédiaire d’enzymes microbiennes du sol, sorte d’alchimie moderne qui devait dispenser de restituer au sol les éléments minéraux (notamment azote, phosphore et potassium) exportés par les récoltes, et donc d’employer des engrais complets. Dans les années 1970, l’agriculture biologique, encore marginale et non réglementée, a connu un début de développement résultant de divers facteurs : surproduction dans plusieurs secteurs agricoles, crise pétrolière, résistance au libéralisme, au productivisme et à la société de consommation, prise de conscience des problèmes écologiques, retour à la terre… Dans ce contexte socio-économique favorable, et malgré son manque d’organisation professionnelle unitaire, sa reconnaissance officielle en 1980 devenait légitime, mais il fallut attendre 1998 pour la mise en place par le ministère de l’Agriculture et de la Pêche d’un Plan pluriannuel de développement avec l’objectif d’atteindre en moins de 10 ans un million d’hectares ainsi cultivés sur 25 000 exploitations. En France, le qualificatif « biologique » a été consacré par l’usage, bien que « écologique » ou « organique » utilisés dans la plupart des autres pays auraient été moins ambigus. En effet, le terme « biologique » est ubiquiste et banal dans le monde vivant et il n’est pas acceptable qu’il ait ainsi été accaparé par un usage aussi limité. Par exemple, la lutte biologique, bien connue depuis longtemps pour la protection des cultures (coccinelles contre pucerons), n’est pas propre à l’agriculture biologique. Même le préfixe « bio » est maintenant réservé, puisqu’un fameux yaourt ainsi dénommé (car contenant des bactéries vivantes probiotiques[3]) a dû changer de nom ! Et que deviendront les biocarburants (parfois appelés carburants bio) qui ne sont pas produits par l’agriculture biologique ? Une telle monopolisation sémantique est évidemment abusive mais, dans ce qui suit, l’agriculture biologique et ses produits seront malgré tout désignés indifféremment par « Bio » (appellation et non préfixe) ou « AB » ! [1] Les produits phytosanitaires, couramment appelés pesticides, sont des substances de traitement des plantes et comprennent les herbicides (détruisant les mauvaises herbes), les insecticides et les fongicides. [2] Un amendement est destiné à modifier la structure ou le pH du sol (amendement calcaire) et son but n’est pas, comme dans le cas des engrais, d’apporter des nutriments à la plante. [3] Les probiotiques, par opposition aux antibiotiques, sont des bactéries vivantes (lactobacilles, bifidobactéries) entrant en compétition avec les bactéries pathogènes dans le tube digestif et susceptibles d’avoir un effet bénéfique sur l’utilisation des aliments et la santé.
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