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EN FAIRE TOUT UN PLAT ?


Tom ADDISCOTT traduit par Christian BUSON


New Scientist - 5 février 2000

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Nous porterons nous bien avec des aliments qui ne contiennent aucune trace de nitrates maman ? Tom ADDISCOTT pense le contraire.

Il n'y a rien de tel que l'alerte à la bonne santé pour faire sortir de leur apathie ceux qui sont calés dans leur fauteuil.

Certaines alertes à la santé ont sans aucun doute sauvé des vies, telles que celles à propos de la consommation excessive de sel. D'autres peuvent être erronées, mais mériter toujours l'attention, par exemple, pour un pesticide qui bien qu'il ne soit pas responsable de cancer comme ses opposants le prétendent, perturberait la faune et la flore.

Ainsi, dans quelle catégorie devons nous classer ce vieux poncif de la peur des nitrates ? Je veux dire cette idée que les nitrates des engrais se propagent dans nos aliments et dans notre eau de boisson et causent des cancers de l'estomac et rendent les " bébés bleus ". L'opinion a tendance à ignorer que des apports de nitrates sont souvent effectués pour de la viande séchée en tant que conservateur et parfois en tant qu'exhausteur de goût ou de stabilisant de la couleur. Mais, le nitrate issu des engrais a toujours suscité plus d'inquiétude.

J'avais acquis la conviction il y a une dizaine d'années, que la phobie des nitrates était à classer dans la catégorie " erronée mais utile ", mais après avoir pris connaissance des récents acquis médicaux, je pense qu'ils méritent une catégorie particulière à eux seuls. Ce qui m'effraie en particulier, c'est la possibilité que cette phobie des nitrates elle-même puisse avoir contribué à l'augmentation des intoxications alimentaires constatées en Grande Bretagne, qui sont passées de 35 000 en 1987 à 106 000 en 1999. Voici pourquoi.

L'idée de la responsabilité des nitrates dans le cancer de l'estomac a été envisagée dans les années 1980. Cependant, tout comme aujourd'hui, la crainte des nitrates s'appuyait sur des possibilités éventuelles plutôt que sur des démonstrations solides. Les environnementalistes craignaient que les bactéries anaérobies de la flore buccale puissent réduire les nitrates (NO3-) de nos légumes et de l'eau en nitrites (NO2-). Ces nitrites pouvaient alors réagir dans l'estomac avec les amines secondaires formées lors de la digestion des protéines pour aboutir à des N-Nitrosamines cancérigènes, ce qui pouvait favoriser le cancer de l'estomac. Mais, dans le milieu des années 1980, lorsque les épidémiologistes d'Oxford cherchèrent à établir la démonstration d'une relation entre le cancer de l'estomac et les nitrates, ils échouèrent totalement.

Certaines de leurs recherches portaient notamment sur des ouvriers d'usines d'engrais fabriquant du nitrate d'ammonium (NO3 - NH4 ou ammonitrate). J'ai visité de telles usines et j'ai pu constater l'apparition d'un goût d'ammonitrate dans ma salive dès la première ou la deuxième minute de présence. Si une population peut encourir un risque accru de cancer de l'estomac par les nitrates, c'est bien celle de ces employés. Mais, en fait, il n'en est rien. En fait, l'équipe d'Oxford aboutit à établir que ces employés étaient en réalité en meilleure santé que les travailleurs exerçant des métiers analogues dans la région et avaient des taux plus faibles de maladies respiratoires et cardiaques. Les nitrates peuvent-ils donc être bénéfiques pour vous ?

La réponse s'avère favorable, mais pour une raison étonnante. Nous savons maintenant que le scénario biochimique sous-tendant la peur du cancer est partiellement exact. Il y a quelques années, à l'université d'Aberdenn, une équipe dirigée par Ben BENJAMIN (actuellement basée à Londres à l'Hôpital St Bartholomew) a montré que les nitrates étaient en effet transformés en nitrites dans la bouche. Les microbes vivant dans des petites cavités derrière la langue sont responsables de cette transformation (New Scientist, 20 July 1996 - p 17) ; les microbes analogues à ceux qui transforment les nitrates en nitrites dans les sols hydromorphes.

Et si ceci vous paraît surprenant, voici une autre des découvertes des chercheurs : un des systèmes métaboliques sécrète des nitrates dans votre salive, si votre organisme n'en trouve pas assez dans l'eau ou dans les légumes. Il semble que l'organisme soit programmé pour maintenir ces microbes producteurs de nitrites opérationnels à tout prix. Vous pourriez presque vous attendre à ce que cela provoque des cancers de l'estomac…

Il n'en est rien, bien sûr ! L'acide fort de l'estomac décompose immédiatement tous ces nitrites. Ce faisant, la réaction libère de l'oxyde nitrique (NO) et d'autres composés chimiques actifs qui contribuent à lutter efficacement contre les salmonelles, les escherichia coli et autres " visiteurs " indésirables de l'estomac. Toutes les faiblesses du système de défense de l'organisme contre les microbes qui provoquent les gastro-entérites sont dues à l'affaiblissement du système de défense de l'organisme contre les microbes. Et le nitrate constitue l'ion-dé qui renforce ces systèmes de défense.

Ceci nous amène à une autre ironie majeure. Le second reproche principal à l'encontre des nitrates était qu'ils pouvaient provoquer chez l'enfant le syndrome du " bébé bleu " ou méthémoglobinémie (MHB). Ben BENJAMIN pense que les gastro-entérites constituent le facteur principal dans la MHB. Ceci est à relier au fait que tous les cas connus de MHB sont causés non pas par de l'eau du réseau public, mais par des puits privés. Qui plus est, dans plusieurs rapports, l'eau a été reconnue souillée avec des bactéries autant qu'avec des nitrates, ce qui renforce l'importance de la notion de la gastro-entérite en tant que facteur déterminant dans la MHB. Et, comme nous le savons maintenant, les nitrates renforcent les défenses de l'organisme contre les bactéries responsables des gastro-entérites. La dernière des choses à faire consisterait à éradiquer les nitrates de notre alimentation et de notre eau, au risque de recrudescence des méfaits de ces bactéries.

La crainte des nitrates était une crainte erronée. Vous avez remarqué autrefois les échoppes le long des routes qui affichaient " Hot-dogs - sans nitrates ". Les commerçants voulaient aussi rassurer les clients de passage au sujet de leur nourriture à propos de l'absence supposée de risques de cancer. Si elles existent toujours, de telles enseignes devraient être considérées comme un avertissement au risque de gastro-entérite ! Avec plus de 5 millions de décès par gastro-entérite par an dans le monde, il est temps que les nitrates soient mieux perçus.

Une des plus terribles épidémies impliquant l'alarmante E. Coli 0157 et un boucher de Lanarkshire nommé John BARR dont les produits carnés contaminés ont coûté la vie à 21 consommateurs en 1996.

Est-ce que la phobie des nitrates est à ajouter aux nombreuses fautes professionnelles que l'enquête officielle lui reproche ? A t-elle pu dissuader Monsieur BARR d'ajouter des nitrates ou des nitrites dans la préparation de ses viandes ? Il serait peut être temps de s'effrayer des recommandations sanitaires.

Tom ADDISCOTT dirige le Groupe de modélisation de Science du Sol à l'IACR de Rothamsted et est Professeur associé de l'Université de London Est.