Lutte contre les marées vertes : un changement de cap s’impose - Décembre 2009 - ISTE Imprimer

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Au terme de 3 décennies de recherches et d’actions centrées sur la teneur en nitrate des cours d’eau, force est de constater que le phénomène des marées vertes persiste. Les teneurs en nitrates dans les cours d’eau bretons sont de l’ordre de 25 à 30 mg de nitrates (NO3) par litre, et elles ont plutôt baissé ces dernières années, sans que l’on n’observe de réduction sensible du phénomène. Il nous semble nécessaire de s’interroger sur les raisons de cet échec avant d’imaginer des actions correctives.
Un postulat erroné : le lien entre les ulves et l’azote
Il s’avère que l’hypothèse centrale du lien entre la prolifération des ulves et la présence d’azote dans le milieu marin, n’est pas vérifiée :

-   les proliférations d’ulves sont observées quelles que soient les quantités d’azote rejetées par les cours d’eau

  • les rejets les plus forts ne provoquent pas le phénomène, comme dans le cas de l’estuaire de la Loire, de la rade de Brest ou de la baie de Vilaine
  • le phénomène est observé dans des baies recevant de faibles quantités d’azote (baie de Lannion)

- ce sont essentiellement les conditions géomorphologiques et hydrodynamiques particulières, en favorisant l’effet de lagunage et en limitant la dispersion vers le large, qui expliquent que certaines baies seulement sont propices
-    de plus, même dans ces baies propices, les biomasses constatées ne sont pas corrélées aux quantités d’azote apportées, chaque printemps, par les cours d’eau.


Dès lors il y a lieu d’abandonner cette hypothèse du lien supposé entre l’azote et la prolifération des ulves.


Les actions qui visent à réduire l’azote des seuls cours d’eau sont vaines pour les raisons suivantes :

-   l’absence de corrélation entre les rejets d’azote et le phénomène est essentielle
-   même en supposant vraie cette corrélation, l’azote dans le milieu marin provient de diverses origines : rejets atmosphériques, biologie marine, échanges avec le large, fixation biologique de l’azote atmosphérique, etc…Agir sur une seule de ces sources est, par conséquent, voué à l’échec
-   les quantités assimilées par les ulves sont infimes (3,7% de la MS, soit 3 à 5 kg de N par tonne d’ulves fraîches) ; soit pour 50 000 t d’algues fraîches pour toute la Bretagne, cela représente seulement 150 à 250 tonnes d’azote assimilé, (et 0,5 à 25 tonnes de phosphore assimilé).
-   Concernant l’azote, de telles quantités sont naturellement et largement présentes dans le milieu marin

Dès lors, aucune carence d’azote ne pourra être obtenue dans le milieu marin et aucune diminution de la croissance des ulves n’est à attendre, au terme de telles mesures. C’est d’ailleurs, ce que nous constatons et nous en comprenons désormais les raisons.

Les programmes d’actions environnementales doivent intégrer ce constat, si l’on veut éviter que des décisions et des dépenses aussi inefficaces qu’injustifiées, ne soient poursuivies.


Dans l’état actuel des connaissances scientifiques robustes, aucune accusation des systèmes agricoles en place, ne saurait prospérer. La poursuite et le renforcement de la suspicion et des contraintes vis-à-vis des activités agricoles ne peuvent constituer une réponse adéquate. L’ajustement de la fertilisation aux besoins des systèmes culturaux doit être pratiqué pour des raisons agronomiques et économiques, mais aucune amélioration sur le front des marées vertes n’est à attendre avec de telles mesures.


Il est nécessaire de changer de paradigme.


Pour régler la question des « marées vertes », il y a lieu de donner aux travaux et aux actions de nouvelles orientations.
Ce n’est pas la modélisation, mais les actions de terrain s’appuyant sur la biologie des écosystèmes marins, qui nous semblent les voies les plus prometteuses.
Nous préconisons trois orientations principales :
-   renforcer les actions de recherche sur la biologie des écosystèmes et les différents cycles biogéochimiques
-   proposer des travaux pratiques en faisant appel à la biologie marine
-   inciter à la récolte précoce et à la valorisation des ulves, en tant que ressource
-   Développer un important effort de recherches sur la biologie des écosystèmes marins côtiers ; nous pouvons citer les domaines suivants :

  • cycles biogéochimiques quantifiés du phosphore, et d’autres éléments (fer, silice, calcium, potassium, etc.), biodisponibilité de ces éléments
  • études détaillée de l’écosystème marin des baies propices : faune, flore, microbiologie, biomasses respectives et chaînes trophiques
  • inventaire des consommateurs des ulves (les animaux « brouteurs »)
  • observation des solutions mises en oeuvre à l’étranger

-   proposer des essais de terrain pour agir sur la biologie et suivre leur efficacité. Nous pouvons citer :

  • des tests « biologiques » avec l’introduction de brouteurs des ulves, et le développement de diverses espèces ; il convient de rappeler que les accumulations massives d’ulves (500 000 tonnes, soit 10 fois plus que sur toutes les plages bretonnes) ulves ont disparu de la lagune de Venise, après l’introduction de la palourde Japonaise
  • des actions mécaniques : dragage, griffages, hersages, de façon à créer une turbidité périodique de l’eau et limiter la croissance des ulves (tout en appréciant l’impact de ces pratiques sur la biologie marine)

-   développer des méthodes de récoltes précoces des ulves et de valorisation

  • recenser et tester les équipements disponibles ou facilement mobilisables
  • utilisation en papèterie
  • concentration et séchage des ulves pour l’alimentation animale
  • recherche d’autres valorisations

Face à ce défi posé à l’environnement en Bretagne, nous cherchons donc à constituer un groupe de travail ouvert, pluridisciplinaire et international, comprenant des acteurs des secteurs privé et public, de façon à aborder de façon nouvelle et concrète cette question.


La recherche et l’inventivité, débouchant sur des actions pratiques, doivent prévaloir.
L’organisation d’un concours faisant appel aux initiatives des entrepreneurs et des chercheurs est à encourager.

Pour en savoir plus :


Guy BARROIN, Phosphore, azote et prolifération des végétaux aquatiques, Assises Internationales Envirobio; Gestion des risques. Santé et environnement: le cas des nitrates, 13-14 novembre 2000, Paris ; lettre de l’environnement de l’INRA février 2003
ISTE 2009 Marées vertes à ulves en Bretagne : état des connaissances