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La surprenante question des nitrates ou le maintien d’une norme inutile

Christian Buson / ISTE / Mars 2008

Tous nos programmes de reconquête de la qualité de l’eau portent essentiellement sur la réduction des teneurs en nitrates dans les milieux aquatiques. Cette orientation structure depuis plusieurs décennies notre politique environnementale, tant française qu’européenne.

Au vu des connaissances scientifiques actuelles, cette orientation paraît surprenante, tant du point de vue sanitaire que du point de vue environnemental.

Il nous semble utile de résumer les avancées scientifiques radicales, qui devraient être intégrées dans une nouvelle politique environnementale, comme le prévoyait la Directive Européenne de 1991 dite « directive nitrates » [1].

  1. Les nitrates et la santé

La norme sur les nitrates dans l’eau potable s’appuie sur une succession d’erreurs aujourd’hui reconnues comme telles, et sur un ensemble de considérations sanitaires anciennes que de nombreuses découvertes récentes rendent définitivement obsolètes :

  • Chimiquement l’ion nitrate est identique, quel que soit le milieu dans lequel il se trouve ;
  • Il est donc impossible de distinguer les nitrates de l’eau de ceux des légumes ou de ceux qui sont autorisés comme additifs alimentaires ;
  • Les études épidémiologiques concluent régulièrement sur les bienfaits des régimes alimentaires à base de légumes, que ce soit vis-à-vis des maladies cardio-vasculaire que des cancers ;
  • Les légumes sont unanimement reconnus comme bénéfiques pour notre santé ;
  • Or les légumes nous apportent l’essentiel des nitrates de notre alimentation, soit près de 80% des nitrates ingérés ;
  • La plupart des légumes contiennent des teneurs élevées en nitrates (jusqu’à plusieurs grammes par kilo) ;
  • Ceci est vrai quel que soit le mode de culture pratiquée car les racines prélèvent naturellement les nitrates dans le sol, dont la teneur en nitrate est élevée ;
  • Si l’eau potable était dangereuse à partir de 50 mg/l de NO3, les autorités publiques devraient immédiatement interdire toute vente de légumes et de charcuteries, et en interdire la consommation, ce qui, bien sûr, constituerait une immense erreur sanitaire, nutritionnelle et diététique.
  • Les nitrates n’ont aucun effet négatif sur la santé, et ce quels que soient la dose, l’âge, l’état de santé… des consommateurs. Les nitrates ne présentent que des effets bénéfiques et sont au cœur d’un système naturel de défense vis-à-vis des agents pathogènes (microbes et champignons) avec lequel nous sommes naturellement en contact  (cf. travaux de Nigel Benjamin).
  • Les cellules de l’organisme humain produisent constamment des nitrates, dits endogènes. Cette production endogène de nitrates est considérablement accrue lors d’activités sportives soutenues, tels le jogging ou la pratique du vélo. Elle l’est également en altitude par suite d’une adaptation au milieu hypoxique.
  • Si l’ingestion de nitrates alimentaire était toxique sur le long terme, le sport et l’altitude devraient avoir les mêmes inconvénients. Or ni le sport, ni l’altitude n’ont jamais été l’objet de telles appréhensions.
  • La transformation des nitrates en nitrites dans l’organisme est infime chez le nourrisson. Ainsi, les nourrissons peuvent ingérer de fortes quantités de nitrates, en consommant par exemple des légumes, sans aucun risque de trouble sanitaire.
  • La seule précaution concerne l’ingestion de nitrites par le nourrisson, avant l’âge de six mois. Il convient d’éviter de préparer des biberons en utilisant une eau de puits à forte contamination bactériologique  (plus d’un million de germes par ml), les nitrates pouvant alors être transformés en nitrites dans le biberon. Il n’y a, par contre, aucun risque que les nitrates de l’eau de réseau d’adduction publique (eau du robinet) ne soient  transformés en nitrites dans un biberon, car cette eau est toujours bactériologiquement contrôlée (moins de cent germes par ml). L’eau de réseau d’adduction publique ne fait courir aucun risque de méthémoglobinémie au nourrisson de moins de six mois, quelle que soit sa teneur en nitrates.
  • Passés ces six premiers mois, l’ingestion de nitrites ne pose plus aucun problème de santé tout au long de l’existence. Au contraire, ensuite, les nitrites sont bénéfiques. Ils exercent notamment une réelle protection à l’égard des maladies cardiovasculaires (travaux de Mark Gladwin).
  • Tout récemment, on a apporté la démonstration que l’effet bénéfique de la consommation régulière de légumes, qui, on le sait, assure une réelle prévention des affections cardiovasculaires, entre autres de la maladie hypertensive et de ses complications, est bien dû aux nitrates qu’ils contiennent en abondance, via la bioconversion de ces nitrates alimentaires en nitrites (travaux d’Andrew Webb et coll., 2008).

2 - Les nitrates et l’environnement

  • Le cycle de l’azote comprend une phase gazeuse ;
  • L’atmosphère est le principal réservoir d’azote, dont la teneur est d’ailleurs constante ;
  • Aucun enrichissement progressif et cumulé des eaux en azote n’est observé ;
  • Les perturbations des milieux aquatiques (« eutrophisation ») n’ont jamais pour cause l’azote, mais uniquement le phosphore présent dans le milieu aquatique ;
  • Les cyanobactéries responsables de ces perturbations (l’« eutrophisation ») utilisent l’azote atmosphérique, qui n’est jamais limitant ;
  • Elles ne peuvent proliférer qu’en présence de quantité importante de phosphore dans l’eau ;
  • Cela constitue une erreur historique d’avoir trop longtemps négligé le phosphore rejeté au milieu aquatique et toléré les rejets en rivières des stations d’épuration, sans norme de rejet sur ce paramètre ;
  • L’effet du phosphore rejeté dans le milieu aquatique perdurera longtemps ;
  • Les nitrates peuvent contribuer à restaurer les milieux aquatiques « eutrophisés », en apportant une source d’oxygène ;
  • Contrairement aux hypothèses de certains océanologues, et aux modèles qu’ils ont cru pouvoir en tirer, les proliférations d’ulves qui peuvent provoquer des échouages massifs (« marées vertes ») ne se manifestent pas plus dans les secteurs recevant plus de nitrates d’origine terrigène ;
  • Ces proliférations sont essentiellement localisées dans certaines baies pour lesquelles les conditions hydrodynamiques particulières, aboutissant à une faible dispersion vers le large, favorisent un effet de lagunage en milieu marin côtier ;
  • La quantité de nitrate et d’azote en présence dans le milieu marin n’augmente pas le risque de prolifération d’ulves, ni d’échouage ;
  • Les quantités de N présentes dans les ulves, même lors des épisodes de prolifération importante, restent infimes, comparées aux masses d’azote en jeu dans le milieu marin, provenant de toutes origines (terrigènes, marines et atmosphériques) ;
  • Une carence généralisée en azote du milieu marin est inconcevable et aurait des répercussions considérables sur l’écologie marine ;
  • En conséquence aucune réduction des masses d’azote ne pourrait  créer une« faim d’azote » limitant la croissance des ulves dans les milieux marins côtiers ;
  • Il est nécessaire de rechercher, pour les baies concernées, d’autres facteurs de maîtrise que l’azote pour régler cette question des « marées vertes » ;
  • Par ailleurs, la teneur en nitrate, bien que facile à analyser, est fortement variable dans le temps et dans l’espace ;
  • La dynamique de l’azote est particulière et complexe : aucune corrélation entre la teneur en nitrate et le moindre composé ou organisme indésirable dans les milieux n’est possible ;
  • La teneur en nitrate ne peut donc constituer un indicateur pertinent de la qualité des milieux ;
  • La fertilisation azotée (organique ou minérale) est indispensable pour assurer durablement une production agricole de qualité ;
  • De nombreux pays européens ont obtenu, à juste titre, des dérogations sur la Directive nitrate, autorisant des apports d’azote organiques supérieurs aux seuils fixés par la Directive, mais ceci entraîne de fortes distorsions entre les agricultures des différents Etats Membres.

Conclusion

Nous pouvons en conclure que la « traque » des nitrates, qui constitue l’objectif central de notre politique environnementale depuis plusieurs décennies, est scientifiquement infondée et inutile au plan sanitaire comme au plan environnemental. Néanmoins, ceci ne remet pas en cause l’intérêt de l’ajustement de la fertilisation azotée des parcelles agricoles.

Ce constat sur les nitrates est facile à établir, et le maintien de la norme sur les nitrates dans l’eau potable est incompréhensible. L’application du « principe de précaution » est inopérante, s’agissant d’un ion essentiellement bénéfique.

La diversion qu’entraîne cette question des nitrates est gravement préjudiciable à nos économies. Elle donne en outre une vision erronée de l’état des milieux et de la correcte hiérarchie des actions à privilégier.

Il est donc urgent de reconsidérer sur des bases rationnelles et profondément différentes notre politique environnementale.

Pour en savoir plus

Marian Apfelbaum, 1999, Risques et peurs alimentaires. Odile Jacob, 284 pages.

Guy Barroin, 1999, Limnologie appliquée au traitement des lacs et des plans d’eau. Les Etudes des Agences de l’Eau n°62, 215 pages.

Christian Buson et Patrick Toubon, 2003, Gestion des risques santé et environnement : le cas des nitrates. Assises internationales d’Envirobio. Editions de l’Institut de l’Environnement, 282 pages.

Christian Buson, 2005 , Retour « écologique » sur la question des nitrates IBADER recursos rural Vol n°1 pp. 39-49

Mark T. Gladwin, Harold Raat, Sruti Shiva, Cameron Dezfulian, Neil Hogg, Daniel B. Kim-Shapiro, and Rakesh P. Patel, 2006, Nitrite as a vascular endocrine nitric oxide reservoir that contributes to hypoxic signaling, cytoprotection and vasodilation, Amer. J. Physiol: Heart and Circ. Physiol. 291, 2026-2035.

Jean et Jean-Louis l’Hirondel, 2002, Nitrate and Man, toxic, harmless or beneficial ?, CABI Publishing, 168 pages .

Jean et Jean-Louis L’hirondel, 2004, Les nitrates et l’homme : toxiques, inoffensifs ou bénéfiques ? Préfaces des Pr. Christian Cabrol, Henri Lestradet et Maurice Tubiana. Les éditions de l’Institut de l’Environnement, 255 pages



[1] Dans ses articles 8 et 9 la Directive 91/671/EEC du 12 décembre 1991 prévoit des adaptations en fonctions des avancées scientifiques et techniques