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A mon ami agronome,

Cher collègue et ami,

j'ai reçu tes différents documents concernant la poursuite des travaux de résorption de la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole et je t'en remercie.

Tout cela m'attriste profondément, car je pense que l'agriculture bretonne est déjà durable, c'est à dire économique et environnementale et que donc il est tout à fait possible de se passer de ce nouveau gadget qui ne durera que le temps suffisant à ce qu'on lui en substitue un nouveau. Il paraît que cela nous occupe.

En Bretagne comme ailleurs la "reconquête" de la qualité de l'eau mériterait que l'on fasse, au préalable, un bilan objectif et proprement écologique du fonctionnement des hydrosystèmes dans toute la diversité que ce terme devrait normalement contenir. Ce bilan devrait être précis et notamment appuyé sur des données mesurées, accessibles (avant interprétation), fiables et comparables entre elles et permettre ainsi une mise en perspective historique suffisamment longue pour s'affranchir des variations climatiques interannuelles.

En outre, la comparaison de données interrégionales devrait permettre de bien confirmer la nature des désordres actuels observés à propos de la qualité des eaux, leur origine et donc les moyens d'être le plus efficace pour leur apporter réponse.

Ce bilan fait jusqu'ici cruellement défaut et nous sommes condamnés à prendre pour acquis un catastrophisme sur l'état des lieux et sur les prévisions d'évolution que rien n'étaye sérieusement et qu'au contraire la moindre réflexion nous amène à reconsidérer, que ce soit en observant la qualité des rivières sur le terrain, les prises des pêcheurs et le retour du saumon, les rares analyses disponibles, les cartes de L'Agence de l'Eau, l'évolution des pratiques agricoles, etc.

Depuis près de 25 ans que nous travaillons dans ce domaine de l'impact de l'activité agricole sur l'environnement, nous sommes toujours partis d'un certain nombre de postulats de départ sans avoir pu en obtenir la moindre démonstration.

Comme tu le sais, je me suis rapproché des limnologues et des océanologues. Quelle ne fut pas ma surprise de me rendre compte :

  1. 1 que l'azote ne contribue nullement à l'eutrophisation des eaux des milieux stagnants et ralentis, les eaux courantes n'attrapant pas cette forme d'"obésité écologique" et que même, les nitrates faisaient partie des moyens d'action pour réhabiliter les plans d'eau eutrophes. Evidemment, l'azote ammoniacal peut être toxique, mais justement, l'azote issu des sols agricoles est normalement nitrique et ne contient plus que des traces d'ammoniaque,
  2. que les rejets de phosphore directement au milieu aquatique étaient toujours à l'origine de cette dystrophie des milieux aquatiques et que très certainement la politique de "reconquête " mise en place depuis une trentaine d'années avait contribué, par la constitution de réseaux de tout à l'égout, au minimum à la concentration de ce qui était dispersé auparavant, et en plus à des rejets considérablement plus massifs et directs de Phosphore dans les eaux, aucune norme de rejet n'étant imposée aux stations d'épuration jusqu'à un passé très récent. Aujourd'hui encore, faute de cette analyse écologique pourtant accessible depuis plus de trente ans dans la bibliographie, la plupart des stations d'épuration de Bretagne et de France n'ont pas de norme en P, et les rejets peuvent donc "légalement" perdurer. Ce qui est bien plus grave, c'est que même si l'on impose des normes aujourd'hui sur ce paramètre aux stations d'épuration, ce qui est évidemment un minimum, les effets se feront sentir encore longtemps, car il n'existe que très peu de mécanismes de fuite de P de l'hydrosystème ; ainsi comme pour la restauration des lacs, l'arrêt de rejet n'équivaudra pas à l'arrêt des désordres ; il faudra en outre extraire, curer, piéger le P pour l'éliminer des milieux aquatiques. A la différence de l'azote qui se dénitrifie à tout va dans les stations d'épuration, dans les sols, dans les rivières, dans les retenues, dans les océans, mécanisme essentiel de régulation qui a toujours fonctionné, y compris quand on nous enseignait le contraire, le phosphore n'a pas de forme gazeuse dans son cycle, et il est essentiel à l'activité cellulaire, puisqu'il intervient dans tous les mécanismes de transfert d'énergie. De plus il est plutôt rare dans le milieu naturel de sorte que ceci explique qu'il joue ce rôle de facteur limitant des dystrophies des milieux aquatiques ; le fait que ce soit le P rejeté directement dans l'eau, disculpe l'agriculture sauf les erreurs grossières qui ne peuvent être qu'accidentelles et qui entraînent directement des effluents organiques au fossé et au ruisseau,
  3. que faute d'avoir compris ce rôle essentiel du P, son accumulation historique et sa rémanence quasi infinie, de nombreux troubles devraient perdurer fort longtemps que l'on pourra, à loisir attribuer à tort à de nombreuses causes imaginaires ou opportunes suivant les cas,
  4. que la fuite des nitrates est naturelle et normale des sols agricoles et que si, bien évidemment, il est souhaitable et possible d'en limiter l'importance, celle-ci restera toujours significativement supérieure à la concentration de 50mg/l de nitrates, au moins pendant les périodes de début de drainage des sols. La quantité d'azote à perdre à l'hectare pour ne jamais dépasser 50mg/l dans les percolats est infime, c'est à dire de l'ordre de la dizaine de kg par hectare et par an ; dès lors tous les agronomes et les agriculteurs sérieux comprendront en quoi ce chiffre ( fruit d'une modélisation compréhensible celle-là et aussi élémentaire qu'irréfutable) démontre l'inaccessibilité des objectifs poursuivis, quand bien même nous nous passerions d'agriculture, ce qui n'est pas souhaitable pour un grand nombre de raisons qu'il serait trop fastidieux d'énumérer ici,
  5. que l'impact des nitrates sur le milieu marin est sans cesse répété lui aussi, telle une rumeur, mais que les publications de l’IFREMER démontrent exactement l'inverse et qu'en dehors des a priori des chercheurs de ces équipes (par ailleurs compréhensibles, vue la désinformation générale anti-agricole), rien ne permet d'accréditer l'idée que les nitrates terrigènes soient responsables et encore moins que leur réduction permettrait la moindre amélioration de la situation. Ceci pose au minimum des questions sur l'intérêt des mesures drastiques de réduction qui sont aujourd'hui préconisées, comme condition de cette soi-disant «  reconquête »,
    1. et finalement que tout ce tintamarre a pris naissance uniquement de considérations toxicologiques à l'encontre des nitrates qui sont plus que vaseuses et totalement réfutées au plan scientifique par tous les spécialistes à jour de leur documentation et compétents.

Tu comprendras, cher ami comment dans ces conditions il me paraît assez vain de rechercher les moyens de "convaincre les agriculteurs" que les mesures que l'on essaye de mettre en place au niveau des pratiques agricoles sont utiles, pertinentes et incontournables.

L'heure n'est pas à la psychologie et à l'étude des modalités de perception et de persuasion des messages auprès du plus grand nombre d'agriculteurs et d'accompagnateurs. Il y a des ouvrages entiers sur la communication (=désinformation) et de nombreux cabinets sont prêts à vendre de bons conseils dans ce domaine.

Pour moi, l'heure est à la vérité scientifique sur les sujets que nous tentons de traiter ; tant que le débat sera éludé sur tout ce qui précède pour divers motifs sociologiques et politiques, je considère que nous faisons totalement fausse route et que tous les efforts et les dépenses engagés le seront en pure perte. En outre, les agriculteurs sont tout à fait capables de comprendre la vérité, fût-elle à contre-courant du paradigme actuel. Je connais une multitude d'intervenants, qui à force de discussion et de lecture (dirigées ?) sont parvenus à la seule conclusion possible et qui prétextent encore l'incompréhension du monde agricole depuis si longtemps sensibilisé (à tort donc) pour justifier l'inaction, quand ce n'est pas la poursuite du discours que l'on sait erroné maintenant.

Je pense en outre, que bon nombre de préconisations actuelles sont issues de modélisations contestables et débouchent sur des pratiques agronomiques éminemment hasardeuses et qui n'ont nullement fait la preuve de leur efficacité ; elles n'ont que le prétexte de l'environnement pour oser exister.

Pourquoi condamner par exemple tout apport de matière organique (MO) à l'automne ou pendant l'hiver ? Les labours d'automne ne doivent-ils plus exister ? Quel est l'intérêt d'accumuler des déjections pour les apporter bien tardivement et en masse lors des petites fenêtres de fin d'hiver début du printemps, au risque de minéralisation tardive préjudiciable au développement des cultures ; et je ne parle pas là des conséquences olfactives de ces mesures.

Il y aurait de nombreux sujets de ce type à débattre, comme par exemple l’avalanche de références successives sur les rejets des animaux, rédigés par quelques « experts » qui ne justifient pas leurs estimations et qui aboutissent à une incompréhension toujours croissante des utilisateurs de ces données ;  mais quand ? Lorsque nous serons à la retraite et enfin libres de nos propos ?

J’attends tes remarques et commentaires,

Christian Buson- ISTE

Texte de septembre 2002, après une laborieuse réunion de travail où les « spécialistes de l’environnement agricole »tentaient de redonner du souffle à leurs préconisations…