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Premier résumé de l’argumentaire contentieux nitrate

Christian Buson / ISTE / Janvier 2008   -  Télécharger la publication


La France fait l’objet de menaces de sanctions coûteuses de la part de la CJCE pour non respect de la Directive de 1975 sur les prélèvements d’eau superficielles en vue de produire de l’eau de consommation humaine. Ces menaces de sanctions sont largement médiatisées et tiendraient lieu, selon de nombreux commentateurs, et de façon certaine pour l’association Eau et Rivières de Bretagne, à l’origine de la plainte déposée à l’encontre de l’Etat Français, de « démonstration de l’horreur écologique » et des méfaits de l’agriculture « intensive ».


Nous examinons dans cette courte note les principaux arguments qui permettraient de sortir l’Etat français
de cette embarrassante posture.

1. Analyse de la Directive 75/440/CEE du 16 juin 1975


Cette Directive prévoit :

· Dans son article 3, que « les Etats membres fixent pour tous les points de prélèvement, les valeurs applicables aux eaux superficielles en ce qui concerne les paramètres indiqués à l’annexe II » ;

· Dans son article 4, paragraphe 1 que « les Etats membres prennent les dispositions pour que les eaux superficielles soient conformes aux valeurs fixées en vertu de l’article 3 » ;

· Dans son article 4, paragraphe 2 qu’ils « prennent les dispositions nécessaires pour assurer une amélioration continue de l’environnement. A cette fin, ils
définissent un « plan d’action organique » (sic) comprenant un calendrier pour l’assainissement des eaux superficielles. Les « contraintes d’ordre  économique et technique » qui existent peuvent être prises en compte ;

· Dans son article 4, paragraphe 3 « les eaux superficielles qui ont des caractéristiques physiques, chimiques et microbiologiques inférieures aux valeurs limites impératives correspondant au traitement type 3 ne peuvent être utilisées pour la production d’eau alimentaire. Toutefois, une eau d’une telle qualité inférieure peut être exceptionnellement utilisée s’il est employé un « traitement approprié - y compris le mélange - permettant de ramener toutes les caractéristiques de qualité à un niveau conforme aux normes de qualité de l’eau alimentaire ». Les justifications d’une telle exception doivent être notifiées dans les délais les plus brefs à la Commission ;

· Dans son article 5, que les eaux sont supposées conformes lorsque 90 à 95 % des échantillons sont conformes, sans que soient mesurées des valeurs de plus du double, et qu’il en découle le moindre risque pour la santé ;

· Dans son article 8, des dérogations sont prévues :
· en cas d’inondations ou de catastrophes naturelles ;

· pour certains paramètres marqués (O) dans l’annexe II en raison de circonstances météorologiques ou géographiques exceptionnelles (NB : le paramètre nitrate est effectivement marqué « (O) ») ;

· lorsque les eaux superficielles subissent un enrichissement naturel de certaines substances qui provoquerait un dépassement des limites fixées pour les eaux. « On entend par enrichissement naturel le processus par lequel une masse d’eau déterminée reçoit du sol certaines substances contenues dans celui-ci, sans intervention de la part de l’homme. » ;


· Le recours à une dérogation fait l’objet d’une « information immédiate » à la Commission ;

· Dans son article 9 : « Les valeurs numériques et la liste des paramètres qui définissent les caractéristiques physiques, chimiques et microbiologiques des
eaux superficielles et qui sont indiquées dans l’annexe II feront l’objet de révisions, lorsque de nouvelles connaissances techniques et scientifiques concernant les méthodes de traitement seront acquises ou lorsque les normes relatives à l’eau alimentaire seront modifiées

2. Les principaux enseignements et les arguments favorables pour la défense de l’Etat français


Il ressort que :

· La teneur en nitrate des eaux en Bretagne est un sujet complexe compte tenu des caractéristiques météorologiques et géographiques, en particulier de la nature de son sous-sol et de ses sols, qui induisent essentiellement des cycles hydrologiques courts, les transferts de l’eau du sol vers les rivières sont particulièrement rapides ;

· De ce fait, ces teneurs sont fortement variables et difficilement prévisibles, s’agissant d’eaux superficielles ; la nécessité d’une gestion suivant au plus près
les teneurs observées est incontournable pour traiter et distribuer une eau de qualité satisfaisante ;

· Pour une teneur de 50 mg/l de NO3, en moyenne, et une lame d’eau de drainage naturel (compte tenu de la climatologie) de l’ordre de 300 mm, cela représente une perte du sol de l’ordre de 34 kg de N ;

· Or le sol contient « naturellement » plusieurs tonnes d’azote organique par ha, dont 1 à 2% sont minéralisés et solubilisés chaque année, sous l’effet de l’activité microbiologique des sols ; la masse d’azote concernée atteint près d’une centaine de kg de N /ha « naturellement » transférée à la solution du sol ; c’est bien évidemment cette solution du sol, après drainage hivernal des eaux excédentaires du sol, qui constitue ensuite l’eau d’alimentation des rivières;

· Avec de telles masses d’azote en présence, il est évident que les concentrations peuvent être considérablement plus élevées que les 50 mg/l et expliquer ainsi des pointes momentanées supérieures à 50 mg/L de NO3 ;

· Trop longtemps, les scientifiques et les techniciens on cru qu’en fertilisant à l’économie, de façon ajustée, les teneurs seraient conformes, du point de vue
environnemental, et donc inférieures à la valeur de 50 mg/l de NO3, retenue dans la norme ;

· Or les calculs qui précèdent démontrent que le passage des quantités présentes naturellement dans les sols en kg de N/ha, aux concentrations des eaux en mg de NO3/l, donne des ordres de grandeur très élevés en nitrate et souvent fortement supérieures à 50 mg/l de NO3 ;

· Les quantités présentes naturellement dans les sols, sont largement suffisantes pour que soient observées des teneurs en nitrates dépassant fréquemment et largement la valeur des 50 mg/l de NO3 dans les eaux de drainage ;

· La teneur finalement observée dans les milieux aquatiques dépend également pour beaucoup de la « dénitrification » qui a lieu naturellement dans les sols et les sous-sols, dans les eaux (lacs, retenues, rivières, fleuves et estuaires…) ;

· Or cette dénitrification naturelle est difficilement prévisible et fortement variable dans le temps et dans l’espace : elle conditionne le résultats en terme de teneur en nitrate dans les eaux brutes ;

· Aucun « plan d’action organique » ne peut permettre d’éviter, dans ce contexte géographique de telles variations, en terme de concentration ;

· Par conséquent attendre une « amélioration continue » de l’environnement n’est pas réaliste, ni conforme aux mécanismes qui régissent la composition des eaux en nitrates ;

· Le plan d’action organique doit porter sur « l’assainissement » des rivières. Or celles-ci bénéficient d’apport d’eaux, après assainissement des eaux usées; làdessus une programmation a été menée (qui pourrait être confirmée par l’Agence de l’Eau, les DDAF et DDE, les Conseils généraux et Régionaux…) ;

· Le contresens paraît total : « un plan d’action organique pour l’assainissement des rivières » ne peut avoir ni de réalité, ni de résultat observable en terme
« d’amélioration continue sur la teneur en nitrate de l’eau des rivières »; le terme « continue » est hautement significatif de l’incompréhension des mécanismes élémentaires qui régissent la concentration des eaux naturelles et expliquent les fortes variations de concentrations ;

· En outre, la notion de valeurs « inférieures » entraîne un contresens : lorsqu’on dépasse 50 mg/l de NO3, on n’est pas « inférieur » mais « supérieur » ; là encore la traduction laisse la place au doute ;

· Il n’y a aucune correspondance entre les valeurs impératives indiquées dans le tableau de l’annexe II et celles retenues pour la teneur de l’eau de distribution :
ainsi le paramètre phosphore est requis sur la teneur de l’eau de rivière, alors que ce paramètre ne rentre plus dans les paramètres définissant les teneurs
maximales des eaux destinées à la consommation humaine ;

· Par ailleurs, la France pourrait demander un relèvement des valeurs requises pour les eaux brutes, compte tenu :
-  des caractéristiques pédologiques, géologiques, hydrologiques des eaux superficielles ;
de la capacité de traitement (y compris en mélange) s’appuyant sur des analyses rapides des teneurs en nitrate des eaux effectivement prélevées

- du fait que la valeur de 100 mg/l de NO3 est admise pour les eaux brutes d’origine souterraine et que les progrès analytiques et du traitement ne justifient pas le maintien de cette incohérence entre ces deux types d’eau ;

· La teneur en nitrate de 50 mg/l de NO3, retenue pour l’eau potable est notoirement faible, comparée aux teneurs usuelles en nitrates des légumes et du
reste de l’alimentation, qui dépassent souvent plusieurs centaines de mg/l voire plus de 1000 mg/l ;

· Les nitrates apportés par les fruits et légumes, représentent l’essentiel des apports dans la ration alimentaire : près de 80 % en moyenne ;

· Aucune distinction scientifique, que ce soit d’ordre chimique, toxicologique ou sanitaire, ne peut être établie, ni soutenue, entre les nitrates des légumes et les nitrates de l’eau, ou ceux autorisés par le codex alimentarius pour la préparation et la conservation des aliments ;

· Si la présence de vitamines et de fibres, etc…, présents dans les fruits et les légumes suffit à réduire les dangers supposés des concentrations élevées en nitrates, la consommation normale de fruits et légumes écarterait ipso facto tout danger susceptible d’être invoqué pour les nitrates apportés par la consommation de l’eau, qui ne représentent qu’une fraction infime des apports en nitrates (moins de 5% des apports totaux) ;

· Les nitrates sont fabriqués en permanence par les cellules de l’organisme : les nitrates endogènes sont aussi abondants que ceux exogènes de notre alimentation ; ces nitrates endogènes n’entraînent aucun effet négatif ;

· Tous les travaux de synthèse scientifique les plus récents mettent en évidence l’absence d’effet négatif des nitrates sur la santé humaine et les seuls effets
bénéfiques des nitrates (travaux de Nigel Benjamin) ;

· De même, les effets bénéfiques des nitrites ont également été récemment mis en évidence : travaux de Mark Gladwin ;

· Or pendant de nombreuses années, la suspicion sur la dangerosité sur les nitrates était maintenue en raison du danger potentiel des nitrites, et d’une certaine confusion entre les termes proches de nitrates et de nitrites ;

· Il résulte de ces considérations que la norme même de 50 mg/l de NO3 dans l’eau potable distribuée pourrait être relevée à 75 ou à 100 mg/l de
NO3 sans aucun préjudice sanitaire pour les populations européennes ; à plus forte raison, les teneurs des eaux brutes destinées à la fabrication
d’eau potable pourraient être relevées sur ce paramètre nitrate ;

· La notion de pollution ou de dégradation de l’environnement, en examinant la teneur en nitrate est inadaptée. L’impact des nitrates dans les phénomènes d’eutrophisation est nul pour les eaux superficielles ;

· L’impact des nitrates d’origine terrigène n’est que supposé dans des modélisations concernant les proliférations d’ulves dans les eaux marines côtières, alors que les masses d’azote contenues dans les ulves sont infimes comparées aux flux d’azote en présence dans le milieu marin ; il est d’ailleurs exclu d’éradiquer l’azote des milieux marins, car les conséquences écologiques seraient considérables ;

· Certes l’Etat Français aurait du informer la Commission et demander une évolution des textes ou solliciter une dérogation, mais la responsabilité n’est pas la même, s’agissant d’un objectif inaccessible et inutile au plan sanitaire (et même environnemental) : il ne peut s’agir de laxisme, mais de reconnaître que l’objectif inutilement fixé pour les seules eaux superficielles ne peut pas statistiquement être atteint, ni à plus forte raison sous la forme « d’une amélioration continue », s’agissant d’un paramètre fortement soumis aux conditions climatiques particulières et donc à leurs variations ;

· Vouloir, sur le prétexte des concentrations en nitrate dans les eaux superficielles, condamner les pratiques agricoles en Bretagne n’est pas cohérent avec l’objectif de la directive sur les eaux superficielles ; or c’est la démarche constante d’Eau et Rivières de Bretagne, qui a attaqué l’Etat français ;

· A l’inverse, supprimer l’agriculture et les activités humaines ne garantirait pas une amélioration de l’environnement, mesurée avec la teneur en nitrate de l’eau des rivières, dont ce qui précède a illustré qu’elle était un piètre indicateur ;

· Aucune technique agricole, fut-elle autoproclamée « organique, naturelle ou biologique » ne peut garantir une quelconque baisse des teneurs en nitrate des eaux superficielles ;

· Le lien entre les apports d’azote en surface avec la concentration des eaux en nitrate n’est pas établi ; même des sols « naturels », sans aucune agriculture chargent les eaux en nitrates.

En conclusion :
En s’appuyant sur le texte même de cette Directive, qui date de plus de trente deux ans, il eût été possible de faire valoir les particularités bretonnes et françaises dans toute leur diversité, et de demander les dérogations et les adaptations utiles du texte de la Directive, pour éviter ou régler ce contentieux. L’existence de précédents permet de penser que la Commission devrait se montrer ouverte à telle demande.
D’une certaine manière le fait de disposer d’analyses dans certaines régions, dont la Bretagne, a pu mettre en évidence quelques contradictions formelles, par rapport au texte de la Directive, sans que l’eau distribuée ne soit dangereuse pour les populations desservies.
De ce point de vue, de nombreuses autres régions européennes sont évidemment dans une situation analogue, voire plus défavorable, sans que nous disposions de statistiques sur les teneurs observées, ni qu’une poursuite judiciaire ne vienne donner un éclairage sur ces situations de non-conformité.
La rédaction même de cette Directive et sa traduction perfectible devraient être adaptée aux connaissances scientifiques et techniques actuelles. Il est clair
que les techniques de mesures rapides et d’analyses ainsi que les procédés de traitement des eaux brutes ont fortement évolué depuis sa rédaction, de sorte que la qualité des eaux distribuées peut être garantie, quels que soient les quelques contradictions avec la lettre de cette Directive .
Il serait tout à fait simple et légitime d’argumenter sur la nécessaire réécriture de cette Directive et sur son adaptation aux techniques actuellement disponibles et aux avancées scientifiques considérables qui ont été enregistrées depuis sa promulgation.
Face à ce contentieux, la France dispose d’arguments scientifiques nombreux et irréfutables, qu’elle devrait faire valoir plutôt que de se précipiter dans des actions radicales et spectaculaires dont la conception même peut assurément faire douter de l’efficacité à moyen terme.