Ecologie et système clos : l’exemple de la Bretagne.
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mars 2003. ISTE n°56
La région Bretagne fait régulièrement l’objet d’articles ou de reportages dans lesquels la situation environnementale est présentée comme fortement dégradée en raison du développement jugé excessif de l’élevage « intensif ». L’éditorial du journal le Monde du 11 septembre 2002 : « la Bretagne Outragée » constitue un exemple caricatural de ce type d’affirmation qui est devenue banale à force de répétition.
Ainsi le plus souvent il est affirmé que « la capacité des sols est dépassée par les déjections animales en excédent » : les sols seraient incapables de réutiliser tous les rejets des animaux. Les excès correspondants pollueraient les nappes et les rivières. Bref, la « saturation » due aux élevages serait responsable de tous les désordres environnementaux supposés. Ces idées sont inscrites dans les programmes d’actions que la collectivité a décidé d’entreprendre à grand frais : la résorption des excédents constitue l’objectif premier et apparemment incontesté des plans de reconquête de la qualité des eaux.
Loin de considérer que la situation agricole et environnementale actuelle ne puisse faire l’objet d’améliorations que ce soit en Bretagne ou dans le reste du monde, il nous semble nécessaire d’en revenir aux faits, aux mesures et aux statistiques étayées pour aborder le plus objectivement possible la situation réelle et les stratégies d’actions les plus appropriées.
Le calcul des rejets d’azote par les animaux Une récente publication de Giovanni (2002) dans la revue Fourrages précise les apports dus aux différents élevages pour les quatre départements bretons en 2001, à partir des estimations unitaires du CORPEN et des statistiques de la production animale (base 2000); ceci nous permet de calculer les apports moyens en azote organique par hectare de terre agricole (SAU) pour chacun des départements bretons.
Valeur |
Unité |
Côtes d'Armor |
Finistère |
Ille et Vilaine |
Morbihan |
Total Bretagne |
Utile (SAU) |
Ha |
453 500 |
397 500 |
465 600 |
385 000 |
1 701 600 |
Apports par les bovins |
N T/an |
35670 |
33620 |
42500 |
26410 |
138200 |
apports par les porcins |
N T/an |
21482 |
20234 |
11035 |
10828 |
63579 |
Apports par les volailles |
N T/an |
12250 |
8300 |
3400 |
10130 |
34080 |
Total des apports |
N T/an |
69402 |
62154 |
56935 |
47368 |
235859 |
charge azotée |
Kg N/ha/an |
153,04 |
156,36 |
122,28 |
123,03 |
138,6 |
Les chargements moyens par hectare d’azote se situent donc à moins de 139 kg de N par hectare et par an, ce qui représente une valeur faible.
Les apports azotés dus aux bovins sont donc majoritaires et représentent 59% ; les apports des porcs et des volailles respectivement : 27 et 14%. Les élevages de porc et de volaille représentent moins de la moitié des flux en jeu (41%).
Un calcul analogue conduit à une charge moyenne en phosphore de 79,18 kg de P205 pour la Bretagne, ce qui correspond aux besoins des sols et des cultures ; toutefois, une partie seulement de ce phosphore est réellement disponible pour les cultures. Le phosphore est fortement retenu par le sol. Aucun excès n’est donc à redouter, même si des réductions de fertilisation phosphatée sont possibles et souhaitables, ne serait-ce que pour des raisons économiques.
L’azote constitue le pivot de la politique environnementale actuelle, bien que ses fondements scientifiques soient aujourd’hui erronés tant en ce qui concerne la santé, car les nitrates ne présentent que des effets bénéfiques (Addiscott et Benjamin(2000), que pour l’environnement où les effets des nitrates sur l’eutrophisation ne sont qu’imaginaires et infondés (Barroin 1999) : l’azote atmosphérique constitue la source prépondérante d’azote dans les proliférations algales intempestives que permet le phosphore contenu dans les milieux aquatiques.
Or nous constatons que les valeurs de charges moyennes d’azote organique en Bretagne sont sensiblement inférieures aux chiffres retenus dans la Directive Nitrate (210 kg de N, puis 170 kg de N organique d’origine animale/ha et par an). En outre, ces apports moyens d’azote d’origine animale sont très inférieurs aux besoins des cultures (240 kg de N par hectare et par an environ) et ceci explique le recours généralisé à la fertilisation minérale qui permet d’assurer les productions végétales qui ont encore connu une progression sensible ces dernières années.
Discussion : Le fait de procéder à un calcul moyen du chargement en azote est conforme à la Directive Nitrate et donne en outre un indice moyen utile ; en effet, bon an mal an, c’est bien l’ensemble des surfaces agricoles qui est concerné. Une faible proportion des sols : seulement (moins de 10%) est « inapte » aux épandages, pour des raisons de sols ou de place dans le paysage, mais ces surfaces reçoivent néanmoins les déjections des animaux qui y pâturent. Ce calcul moyen par département ne traduit pas la situation détaillée de chaque exploitation, mais il montre clairement qu’à l’échelle de chacun des départements bretons, il est tout à fait possible, par une simple redistribution des effluents organiques, de les répartir sans qu’aucun excédent ne reste à éliminer. Autrement dit, l’utilisation agronomique des déjections animales peut résoudre toutes les situations en Bretagne, en assurant la répartition utile. Ces calculs sur les apports moyens sont essentiels, car ils démontrent clairement que les sols agricoles de Bretagne sont largement capables de recycler sans excès les déjections produites par tous les élevages. Le respect de l’équilibre entre les besoins des cultures et des sols en fertilisant azoté et les apports azotés, devrait prévaloir, sans plafonnement du seul « azote organique d’origine d’élevage » mentionné dans les annexes de la Directive nitrate. Cette discrimination que crée la Directive Européenne sur les nitrates à l égard de « l’azote organique d’origine d’élevage » paraît inutile et injustifiée ; elle crée des « excédents virtuels » par rapport à cette seule catégorie de produits qu’elle limite. Corollairement, elle pousse à l’utilisation d’engrais minéraux. D’autres déchets organiques valorisables, tels que les boues d’épuration par exemple, pourraient également être réutilisés sans préjudice pour le milieu en utilisant le potentiel de recyclage des sols agricoles bretons ; la totalité des boues d’épuration d’origine domestique et industrielle ne représente en effet que moins de 10 kg de N par ha et par an. Ces recyclages permettraient de combler le déficit des sols agricoles bretons en fertilisants azotés. Enfin, rien n’interdirait de rechercher une réduction des rejets des animaux (ajustements de l’alimentation) et un accroissement des exportations végétales capables de valoriser et de mobiliser des quantités plus importantes encore d’éléments minéraux (azote et phosphore). Le haut potentiel agronomique des cultures fourragères sous le climat breton pourrait être mis à profit. A l’inverse, la limitation des apports d’azote, entretenue sous des motifs « environnementaux » erronés, peut faire redouter une baisse progressive de la fertilité des sols, de leur teneur en azote organique ainsi qu’une baisse des rendements et de la qualité des récoltes.
Conclusion : La « saturation » avec les effluents d’élevage est inexistante en Bretagne et n’a que la répétition pour base. Les calculs précédents démontrent qu’il n’y a aucun excédent sur aucun département breton, mais qu’au contraire des apports fertilisants sont nécessaires pour permettre le maintien de la production végétale au niveau de la production actuelle. L’acceptation collective de cette fausse saturation cadre bien avec l’opinion généralement admise d’une qualité des eaux bretonnes altérée par l’agriculture et l’élevage modernes ; ceci suffit apparemment pour faire accepter sans la moindre vérification la notion « d’excédent structurel ».
Les « excédents structurels » sont en réalité négatifs et devraient être appelés « déficits structurels » ; il n’y a par conséquent aucune nécessité de « résorber des excédents » dont il est impossible de trouver trace, en dehors de quelques situations particulières et localisées, qui restent sans répercussion sur les équilibres globaux. La répartition et l’agronomie sont capables de régler la quasi-totalité des situations agricoles de Bretagne et donc de France. Cette capacité d’accueil mésestimée que représentent les sols agricoles pourra servir utilement à recycler les déchets organiques tels que les boues d’épuration, notamment. Ce constat de la charge actuelle réelle due aux élevages devrait rapidement amener les autorités à une refonte profonde mais justifiée de la politique environnementale qui s’avère aujourd’hui infondée scientifiquement, inutile et irréaliste. La priorité doit être clairement redonnée au recyclage agricole en utilisant le pouvoir épurateur des sols. La maîtrise des rejets directs de phosphore au milieu aquatique reste par ailleurs l’objectif essentiel de préservation de la qualité des eaux. Il est surprenant que cette hiérarchie salutaire ne soit pas clairement intégrée dans les « plans de reconquête » (SDAGE, SAGE) et dans les Directives et Règlements portant sur la qualité des eaux. De même, les avis et jugements rendus sur la Bretagne doivent être revus à la lumière de cette distinction essentielle entre les rejets d’azote et de phosphore au milieu aquatique, et de leurs impacts respectifs. La mise en place de stations d’épuration pour résorber ces excédents imaginaires, qui éliminent l’azote contenu dans les effluents d’élevage, qu’il serait bien plus profitable de recycler, constitue une erreur de diagnostic préjudiciable à l’économie des élevages et donc à leur durabilité.
L’examen attentif de la réalité de l’activité agricole bretonne moderne est donc en parfaite harmonie avec la qualité des milieux aquatiques qui est bien meilleure que l’image caricaturale et gratuite qui en est souvent donnée. Ainsi, la « pollution des eaux » et les « excédents structurels » constituent en Bretagne un exemple parfait de système clos : l’un comme l’autre sont imaginaires; aucune « explication » de la prétendue pollution des eaux ne peut s’appuyer sur une « pseudo saturation des sols » par les effluents d’élevage. L’« horreur écologique » tant commentée, devra être recherchée ailleurs qu’en Bretagne.
Bibliographie : Addiscott et Benjamin, 2000, Avez-vous pris votre nitrate? Perspectives agricoles. Traduction de « Are you taking your nitrate ?” Food Science and Technology Today 14 (2) 2000, pp59- 61. Barroin G. 1999, Limnologie appliquée au traitement des lacs et des plans d’eau. Les Etudes des Agences de l’Eau n°62, 215 pages. Corpen 1988, Bilan de l’azote à l’exploitation. Mission eau nitrates Ministère de l’Agriculture et de la forêt, Secrétariat d’Etat chargé de l’Environnement, 32 pages. Directive du Conseil 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Journal des Communautés Européennes n°1.375/1-8 Giovanni R. 2002, Evaluation des potentiels d’azote et de phosphore d’origine animale de la région Bretagne pour les années 1998-2001. Fourrages 2002 170, pp.123-140.
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