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A PROPOS DE LA MULETTE PERLIERE EN TANT QU’INDICATEUR BIOLOGIQUE DE LA QUALITE DES EAUX

Christian Buson / ISTES / Novembre 2011 Télécharger la publication avec les graphiques

Un Plan National d’Actions a été mis en place pour 5 ans de 2012 à 2017, en faveur de la mulette perlière (Margaritifera margaritifera).

Un document du Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement a été établi en mai 2010 et reproduit en 2011.

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/PNA_Mulette_perliere_30_05_10.pdf

Cette espèce constituerait un indicateur biologique de la qualité des eaux.

Les larves ou « glochidies » se fixent sur les branchies des poissons (saumons, truites).

 

I EXTRAITS DU RAPPORT DU PNA DU MINISTERE CONCERNANT LE ROLE D’INDICATEUR BIOLOGIQUE DE LA QUALITE DES EAUX.

 

« Concernant la qualité des eaux, BUDDENSIEK (1995) observe à partir d’élevages de juvéniles en conditions artificielles que parmi les facteurs affectant la croissance et la survie, la température de l’eau, les taux de nitrates et de phosphates sont déterminants. »

I.6.3. QUALITE DE L’EAU

La Mulette perlière, en particulier aux stades juvéniles, est très sensible à la qualité et à la température de l’eau. La température serait le principal facteur de mortalité des juvéniles, suivi par les concentrations en magnésium et en ammoniaque (BUDDENSIEK,1995). La Mulette perlière préfère les eaux froides, ne survivant que quelques dizaines de minutes à une eau à 28°C (ARAUJO & RAMOS 2001a). Elle se rencontre en général dans des cours d’eau dont la température ne dépasse pas 13 ou 14°C, mais peut tolérer des eaux beaucoup plus chaudes en période estivale.

BUDDENSIEK (1995) a étudié la mortalité et la croissance des juvéniles en fonction de différents paramètres physico-chimiques de l’eau. Cette étude montre que la croissance et la survie sont négativement corrélées à la conductivité, la concentration en ammoniaque, nitrate (NO3), phosphate, sodium, potassium, calcium et magnésium ; tous ces paramètres étant des indicateurs d’eutrophisation.

Pour GEIST & AUERSWALD (2007), les différences entre les sites présentant des populations fonctionnelles (c.a.d. qui recrutent) et les sites où les populations ne sont plus fonctionnelles résident plus dans la qualité physique du substrat (moins de colmatage, moins de fines et de meilleurs échanges entre la surface et le milieu interstitiel) que dans la qualité chimique du milieu.

Tableau 1 Caractéristiques physico-chimique des eaux hébergeant des Mulettes perlières (mais pas nécessairement en bonne santé !) selon différentes études (d’après MOORKENS 2000).

 

[Remarque : « oxidised nitrogen » mesure les formes azotées (c'est-à-dire la somme nitrite et nitrate) : le cumul des concentrations de ces deux formes est donc exprimé en N]

 

III.3. MENACES

Compte-tenu de ses exigences écologiques, les menaces concernent principalement la qualité des eaux, la raréfaction des poissons-hôtes, la qualité du sédiment et l’hydrologie naturelle des rivières.

L’eutrophisation des cours d’eau due aux activités humaines : rejets urbains, activités agricoles, industrielles, réalisation de plans d’eau, érosion des sols, augmentation de la température de l’eau… Si les adultes semblent relativement tolérants à l’eutrophisation les juvéniles y sont très sensibles. Pour se reproduire, l’espèce doit vivre dans des eaux contenant moins de 1,7 mg.L-1 de nitrate (N) et moins de 0,06 mg.L-1 de phosphate (P) (Moorkens 2000).

Selon l’IFREMER, les taux de nitrates (NO3) des rivières bretonnes ne devaient pas dépasser au maximum 3 à 4 mg.L-1 dans les années 1900 (MENESGUEN 2003). Ils ont été multipliés par 10 en un siècle. On considère aujourd’hui qu’une eau contenant jusqu’à 50 mg.L-1 de nitrates (NO3) est potable (norme eau-du-robinet), mais on conseille d’évite aux  femmes enceintes et aux enfants une eau contenant plus de 25 mg.L-1 de nitrates. »

 

II ANALYSE DE LA PUBLICATION DE BUDDENSIEK (1995)

Nous avons pris connaissance de la publication de Volker Buddensiek, 1995 : the culture of juvénile freshwater pearl mussels Margaritifera margaritifera L. ; in cages : a contribution to conservation programmes and the knowledge of habitat requirements, parue dans Biological Conservation 74 33-40.

Cette publication commente la survie des jeunes mulettes perlières et leur croissance après leur stade parasitaire sur les branchies des poissons.

Il faut noter que les eaux des rivières dans lesquelles les juvéniles ont été testés, présentaient les teneurs figurant au tableau 1.

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Tableau extrait de Buddensiek (1995) :

 

Les teneurs en nitrates se situent entre 1.27 et 4.19 mg/l de N-NO3, soit une moyenne de 2,71 mg/l de N-NO3 (et une variation entre 5.58 et 18.43 mg/l exprimé en NO3) ; les teneurs en nitrites se situent entre 0.01 et 0.02 mg/l  de N-NO2.

 

Si on se reporte au tableau de Moorkens donné dans le document du Ministère, on remarque qu’ont été confondus pour les données issues de Buddensiek (1995), l’azote oxydé avec  les seuls nitrites, en oubliant les nitrates, puisqu’il est indiqué une moyenne de 0.01 mg de N oxydé, alors qu’elle se situe à 2.71 mg de N-NO3, soit une valeur en N oxydé  272 fois plus élevée que la valeur reportée dans le tableau, et donc dans le document du Ministère. .

Les taux de mortalité et la croissance des juvéniles dans les différentes  eaux des 4 rivières du tableau 1 ont été suivis. Des corrélations ont été testées avec les différents paramètres physicochimiques (cf. Tableaux 7 et 8 de l’article de Buddensiek, reproduit ci-dessous)).

On constate dans ces tableaux que  concernant les nitrates tant pour la mortalité, que pour la croissance, les corrélations ne sont pas significatives dans trois tests sur quatre ou négativement corrélées.

 

L’auteur dans ses commentaires p. 38 précise en outre : “Surprisingly, among those tested, the rivers with the lowest quality allowed maximum growth and highest survival while the other three rivers must be considered to be of equal value in the long term for culturing juvenile M. margaritifera, despite their progressively higher water qualities.”

« Etonnamment, en ce qui concerne les rivières testées, celle présentant la qualité des eaux la plus dégradée a permis la meilleure croissance et le plus fort taux de survie, tandis que les trois autres rivières doivent être considérées être équivalentes à long terme pour le développement des juvéniles de M. margaritifera, malgré leurs qualité des eaux croissante. »

Cela confirme bien que la mulette perlière se retrouve dans les meilleures conditions dans l’eau la plus concentrée (rivière A2), et en particulier dans l’eau la plus chargée en nitrate : 4.19 mg/l de N-NO3, avec une déviation standard de 1.5 mg/l de N-NO3, soit une eau  comprise entre 11.6 et 25, 3 mg/l de NO3, avec une moyenne à 18.43 mg/l de NO3.

Rien ne permet d’affirmer d’ailleurs que ces valeurs constituent une limite infranchissable pour le bon développement de cette espèce.

 

Concernant la qualité des eaux, l’auteur précise encore (p. 38) :

« the physical and chemical conditions of the water influenced the viability of the juveniles, although none of the variables measured in the running water seemed to be toxic for juvenile freshwater pearl mussels within the range of concentrations encountered. Growth and survival were predominantly negatively related to conductivity, ammonia, nitrate, phosphate, sodium, potassium, calcium and magnesium (table 8), all of which can be regarded as indicators of eutrophication.”

« Les conditions physico-chimiques de l’eau influent sur la viabilité des juvéniles bien qu’aucune des variables suivies dans l’eau des rivières ne semble toxique pour les juvéniles de la moule perlière d’eau douce, dans les gammes de concentrations observées. La croissance et la survie sont négativement corrélées à la conductivité, et les paramètres ammoniaque, nitrate, phosphate, sodium, potassium, calcium et magnésium (Tableau 8), autant de paramètres qui peuvent être considérés comme des indicateurs d’eutrophisation. »

Cette dernière phrase du paragraphe est particulièrement surprenante : seul le taux de phosphore doit être considéré comme un indicateur d’eutrophisation, et absolument pas les nitrates, le sodium, le magnésium et le calcium. Surtout l’affirmation contredit l’interprétation des tableaux 7 et 8 de la publication et les commentaires qui précèdent.

Il faut également noter le rôle bénéfique de la présence de chironomes et de leurs « boulettes fécales » dans la nutrition des juvéniles ; l’effet positif de la présence de ces boulettes fécales, contredit la notion même d’utiliser la Mulette Perlière comme une espèce indicatrice de la qualité du milieu aquatique.

III CONCLUSION

D’après Buddensiek, et contrairement au document du Ministère, qui le cite, les formes juvéniles de M. margaritifera peuvent tout à fait se développer dans des eaux présentant une teneur en nitrate au moins proche de 18 mg/l de NO3. On ne voit d’ailleurs pas  par quels mécanismes, les nitrates poseraient le moindre problème sur cette espèce animale.

Le rappel des conseils sur les teneurs basses en nitrate chez les femmes enceintes et les nourrissons est totalement hors sujet et surtout témoigne d’une méconnaissance profonde  de ce sujet et de la bibliographie abondante sur les effets bénéfiques des nitrates pour la santé humaine (cf N. Benjamin, N. Bryan, M. Gladwin,  J. Lundberg, J-L L’hirondel). Jamais il n’a été conseillé pour les catégories de populations évoquées, de limiter la consommation de  légumes qui présentent souvent des teneurs comprises entre 10 et 100 fois la norme de 50 mg/l de NO3.

 

L’abondance passée de la Mulette perlière ne constitue qu’une hypothèse, déduite d’écrits anciens sur l’usage des perles. Le massif armoricain ne semble pas avoir constitué les meilleurs biotopes  pour cette espèce.

La quantification des individus de cette espèce et ses variations à travers les âges, font cruellement défaut.

L’absence de cette espèce dans les rivières débouchant sur les baies propices au développement et aux échouages d’ulves en Bretagne, ne saurait être interprétée comme une « disparition massive ». De nombreux facteurs peuvent en effet intervenir : présence de poissons pour le parasitage de leurs branchies par les larves de Mulette, nature des fonds, température, présence de calcium…

L’origine de la disparition supposée de la mulette perlière ne peut en aucune façon être utilisée comme un « indice de la dégradation de la qualité des eaux » ; en particulier la teneur en nitrate estimée à 3 ou 4 mg/l de NO3 par Menesguen (2003) à l’origine (valeur dite « pristine » selon le terme anglais, que l’on peut traduire par « immaculée »), et citée dans le rapport du PNA,  ne peut nullement être corroborée par l’absence de Mulette perlière  M. margaritifera, puisqu’il est établi que cette espèce, y compris ses stades juvéniles considérés comme  les plus fragiles, se développent correctement dans des eaux présentant jusqu’à 25 mg/ l de NO3, sans que cette valeur ne puisse constituer une limite indépassable (Buddensiek 1995). Il est fort probable en outre qu’il y ait eu dans les interprétations,  une confusion entre des teneurs exprimées en NO3 et en N-NO3.

La Mulette perlière M. margaritifera, ne peut donc, en l’état actuel des connaissances, constituer un indicateur biologique de la qualité des eaux ; son absence ne peut pas être interprétée comme une disparition  révélant une augmentation de la teneur en nitrate dans les eaux douces. En outre on ne saurait attribuer la moindre date à cette évolution supposée.

En aucune façon l’absence de données sur la qualité des eaux avant les années 1990  ne sauraient être compensée par des déductions hasardeuses concernant l’évolution négative supposée d’une faune,  résistant sans difficulté à des teneurs en nitrate soutenues.

Le rapport du Ministère de l’écologie et du Développement Durable, pour le PNA de la Mulette perlière devrait être modifié en conséquence, pour tenir compte des inexactitudes relevées dans la présente note.