Christian BUSON
De nos jours, les nitrates font l'objet d'un
consensus général. La réglementation sur l'eau potable, les
programmes de " reconquête " de la qualité des eaux,
les investissements prévus sur les ouvrages d'épuration, les
mises aux normes des exploitations agricoles, tout est
essentiellement conduit en vue d'un objectif suprême et
apparemment incontesté : la baisse des taux de nitrates dans les
milieux et, en particulier, dans l'eau. Il paraît utile, alors
que des sommes considérables doivent encore être investies dans
ce but, d'examiner, à la lumière des connaissances actuelles,
le rôle exact de cet anion vis-à-vis de notre santé et de
notre environnement, puis de tenter une synthèse à propos des
nitrates.
Nitrates et santé
Les nitrates sont utilisés depuis des temps immémoriaux pour la
conservation des aliments à des doses élevées : plusieurs
grammes par kilo de viande ou de poisson à conserver.
Dans l'histoire, les nitrates ont été utilisés à fortes doses
(supérieures à plusieurs grammes par jour) comme médicaments
pour diverses affections (J. et J.L. L'hirondel, 1996).
Aujourd'hui, de nombreux médicaments ont dans leur composition
des sels nitratés ou des dérivés nitrés. Ainsi, la trinitrine
est-elle très largement prescrite dans le traitement et la prévention
de l'angine de poitrine ; de même, des gels dentaires
contiennent du nitrate de potassium (à 5% de nitrate).
Les nitrates sont particulièrement et naturellement abondants
dans la plupart des légumes (500 à 3 500 mg de NO3 par kilo de
MS) et cela ne gêne en rien leur consommation. Celle-ci est
vivement recommandée par tous les nutritionnistes et les études
épidémiologiques confirment l'intérêt de la consommation régulière
de légumes pour la protection sanitaire des populations contre
diverses affections et, en particulier, pour prévenir et limiter
les différentes formes de cancer. Si les nitrates présentaient
la moindre toxicité, de tels résultats ne seraient pas observés
avec les régimes à base de légumes.
Face à l'objection attribuant les effets bénéfiques des légumes
à leurs seuls composés organiques, il serait facile de répondre
que la consommation régulière de légumes éliminerait alors
tous les risques supposés des nitrates.
Les nitrates ne sont généralement plus considérés comme
toxiques en tant que tels - c'est l'éventuelle transformation
des nitrates en nitrites puis leur combinaison avec les amines
(nitrosamines) qui est en général mise en avant pour maintenir
la suspicion à l'égard des nitrates.
Concernant la dangerosité des nitrites, nous pouvons apporter
les arguments suivants (J. et J.L. L'hirondel, 1996) :
- La réduction des nitrates en nitrites est le résultat d'une
transformation bactérienne qui dépend de plusieurs facteurs de
milieu et qui nécessite du temps. Autrement dit, cette réduction
s'effectue plus difficilement que la simple écriture de la réaction
ne le laisserait supposer. En outre, les réactions se
poursuivent au-delà du stade des nitrites, de sorte que
l'accumulation de nitrites est relativement rare et que les
concentrations en nitrites restent faibles dans les organismes.
- Les nitrites ne sont toxiques que pour le nourrisson avant 6
mois en raison de la moindre activité de la méthémoglobine-réductase.
Les nitrites absorbés en grande quantité par le jeune
nourrisson provoquent alors une affection particulière - la méthémoglobinémie
- qui à partir d'un certain stade peut entraîner une cyanose.
Cette affection a quasiment disparu dans les pays occidentaux.
Passé cet âge de 6 mois, le nourrisson dispose d'un système
enzymatique assez efficace pour faire face aux ingestions
courantes de nitrites. Aucun effet des nitrites n'est plus à
craindre après 6 mois, que ce soit par ingestion directe ou après
transformation des nitrates (exogènes ou endogènes) en
nitrites.
- Les nitrates ingérés par les nourrissons ne provoquent jamais
de méthémoglobinémie, seule l'ingestion directe de nitrites préformés
avant l'ingestion par le nourrisson est responsable de ce
trouble. Dans l'organisme du nourrisson, la transformation des
nitrates ingérés en nitrites est infime de telle sorte qu'aucun
risque n'existe dans la consommation par le nourrisson d'aliments
riches en nitrates tels que les soupes ou des préparations à
base de légumes (carottes, épinards, etc.). La soupe de
carottes est d'ailleurs abondamment consommée et même préconisée
pour combattre ou prévenir des épisodes diarrhéiques des
nourrissons.
- De simples mesures d'hygiène élémentaire suffisent à éviter
les pullulations bactériennes à l'origine de toute
transformation des nitrates en nitrites préalablement à
l'ingestion par le jeune nourrisson. Il faut veiller en
particulier à utiliser une eau indemne de contamination en
agents pathogènes (après ébullition notamment), à nettoyer
correctement les récipients et les ustensiles et, surtout, à réduire
le délai entre la préparation et la consommation des aliments.
Ainsi, la prévention de la méthémoglobinémie (affection
rarissime aujourd'hui) portera essentiellement sur les conditions
de préparation des aliments (hygiène, délais, etc.) et, en
aucune manière, sur la teneur en nitrates de l'eau ou des ingrédients.
- Les nitrites ingérés par la mère ne sont pas dangereux pour
le foetus car celui-ci est protégé par les enzymes maternelles.
Il est donc inutile de recommander une quelconque modération de
consommation de nitrites à la femme enceinte.
- Les nitrites sont aussi utilisés traditionnellement dans la
conservation des viandes et des poissons. Leur usage est réglementé
et autorisé jusqu'à plusieurs centaines de milligrammes par
kilo de produit soumis à dessiccation. Les nitrites ne présentent
aucun danger à ces doses modérées ni pour le nourrisson passé
6 mois, ni pour l'enfant, ni pour l'adulte, ni pour la femme
enceinte, ni pour les personnes âgées, ni pour les personnes
malades ou affaiblies. En tout état de cause, aucune ingestion
de nitrates ne peut provoquer d'empoisonnement de l'organisme après
transformation des nitrates en nitrites.
- Les nitrosamines éventuellement produites à partir des
nitrates ingérés représentent des quantités infimes comparées
aux quantités habituellement rencontrées dans de nombreux
aliments ou dans notre environnement (J. et J.L. L'hirondel,
1996). Vouloir bannir les nitrates de notre alimentation au motif
qu'une quantité infime est susceptible de former des
nitrosamines est donc déraisonnable. L'élimination de toute
trace de nitrosamine de notre environnement est absolument irréaliste
et n'a d'ailleurs jamais été envisagée.
- Le risque de cancers induits par les nitrites et les nitrates
n'a jamais pu être établi, bien au contraire, et peut être
considéré comme négligeable.
En conséquence, les risques dus aux nitrates, par suite de leur
éventuelle transformation en nitrites ou en nitrosamines dans
l'organisme, peuvent donc être définitivement écartés.
Les nitrates ne provoquent que des effets bénéfiques pour la
santé. Ils contribuent à la protection sanitaire par leur
action à l'égard de nombreux agents pathogènes : bactéries,
champignons, etc., (voir les travaux de l'équipe de N. Benjamin
et al., 1994, 1995, 1996).
L'organisme utilise constamment les nitrates, qu'ils soient
d'origine alimentaire (exogènes) ou endogènes. De plus, dans de
nombreuses affections, l'organisme réagit en libérant une
quantité accrue de nitrates. Le rôle essentiel joué par le
monoxyde d'azote (NO) dans l'activité cellulaire explique cette
présence de nitrates.
L'application des critères toxicologiques à l'égard des
nitrates (J. et J.L. L'Hirondel, 1996), outre qu'elle est
inappropriée s'agissant ici d'un composé non toxique, a été
menée à l'origine à partir d'une publication imprécise de
Lehman (1958) : une dose sans effet (DSE) a ainsi été évaluée
sans vérification des effets de doses supérieures. C'est
notamment ce que Maekawa a expérimenté en 1982 lorsqu'il a mis
en évidence que des doses cinq fois plus élevées restaient également
sans effet négatif pour leurs consommateurs. La dose maximale
sans effet n'a pas été déterminée. Il en résulte que la dose
journalière admissible (DJA) pourrait au moins être multipliée
par cinq, et ainsi la norme sur l'eau potable qui est sensée en
être déduite pourrait passer de 50 mg à 250 mg de NO3 par
litre au minimum.
Pour conclure, ni les nitrates ni leurs dérivés dans
l'organisme ne peuvent donc plus être considérés comme
toxiques, à la lumière des connaissances scientifiques
actuelles. Ainsi, Apfelbaum (1998) confirme que " la
consommation de nitrates est inoffensive chez l'homme sans limite
de dose ".
Nitrates, sol et plantes cultivées
Les nitrates constituent l'une des formes de l'azote, élément
indispensable au développement de toute vie végétale et
animale (Addiscott et al., 1991). Le cycle de l'azote dans le sol
comprend normalement la forme nitrique (voir figure 1, Mariotti,
1996).